Compte-rendu de la réunion du 13 février 1961

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OUVROIR
DE LITTERATURE
POTENTIELLE

Circulaire n°4

COMTE-RENDU DE LA REUNION DU LUNDI 13 FEVRIER 1961

(Saint-Lézin)

Président de Séance : Noël ARNAUD.

Assistaient à cette réunion : MM. Queval, Queneau, Le Lionnais, Lescure, Chambers, Duchâteau, Arnaud, Schmidt, Berge, Bens.

En préliminaire à toute préoccupation, furent choisi le menu et adopté l’ordre du jour. Ceci fait :

La séance fut brillamment ouverte par une remarquable communication d’Albert-Marie Schmidt sur le Chevalier de Piis. L’orateur relata brièvement certains aspects de la vie de cet auteur. On apprit notamment qu’il fut chansonnier, espion de police (de toutes les polices, ce qui prouve une constance dans l’erreur assez admirable) et mourut du choléra en 1852. Le Chevalier de Piis voulut réagir contre la poésie de son siècle dont il disait : « La lyre d’Apollon est sans timbre ». C’est ainsi qu’il entreprit une Harmonie Imitative, dans laquelle il accordait une valeur affective aux lettres de l’alphabet – c’est-à-dire aux sons de notre langue.

Albert-Marie Schmidt, après avoir précisé que « Phonétique expressive » serait préférable à « Harmonie Imitative », lut quelques passages concernant le C (notion de creux), le F (son fatal qui souffle la menace), le L (liquide et harmonieux), le T (tactile) ; puis d’autres « imitant » le travail du forgeron, le glouglou des bouteilles, la mandoline et le tympanon, et le cri des oiseaux de basse-cour, du chien et du chat.

Après que Raymond Queneau eût fait remarquer que les vers du Chevalier de Piis, loin d’être le fait d’un pauvre versificateur, valent plutôt mieux que ceux des poètes de son temps, A.M. Schmidt lut d’autres vers concernant la lettre A (sons « adamiques ») et, sur la maladroite intervention du S.P., la lettre B (sons inqualifiables).

A.M. Schmidt signala un poème de Jean Molinet, écrit sur des mots contenant la syllabe « con ». A la demande générale, ce poème fut inscrit à l’ordre du jour de la prochaine réunion  .

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      Jean Queval lut alors (et versa aux archives) des tracts électoraux d’une singulière facture  , réalisés par le sieur Depriester, candidat (battu) de la 4° Circonscription de la Seine-Inférieure (dite « Maritime » depuis peu).

      Il posa également une question sur la recherche des néologismes, question qui laissa pantois tous les assistants. Une communication particulière de Jean Queval sur ce sujet semble indispensable.

      Jean Lescure prit alors la parole pour exposer sa méthode S + 7. Il lut quelques exemples très convaincants, tirés de :

      1. l’Ile du Ptyx, extrait de Faustroll, de Jarry – avec l’aide du Dictionnaire des Synonymes de Larousse ;
      2. la Chasse Spirituelle, du prétendu Imbaud – avec l’aide du Petit Larousse.

      On le félicita chaudement, et le pressa de poursuivre cette chasse fructueuse.

      Jean Queval intervint alors pour demander si l’on est, ouizounon, pour les Fous Littéraires. A cette question délicate, François Le Lionnais répondit fort subtilement :

      – Nous ne sommes pas contre ; mais la vocation littéraire nous intéresse avant tout.

      Ce que précisa Raymond Queneau :

      – Il n’y a de littérature que volontaire.

      A quoi il n’y a rien à répondre.

      A son tour, Jacques Bens lut un « Sonnet sur les vers des autres », imité des quatrains de François Le Lionnais – dont tout le monde apprit, un peu plus tard, qu’il s’agit d’un centon.

      Puis, Raymond Queneau entreprit l’examen des diverses formes poétiques, tirées de la Poétique curieuse, de Gabriel Brunet. En voici le résultat :

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        La suite de cet examen fera l’objet de prochaines communications.

        Voici qu’Albert-Marie Schmidt suggéra de retrouver un texte de Toulet proposant de lire les poèmes à l’envers. Si quelque membre découvre ce texte, il est prié de le signaler au S.P.

        A propos de Tristan Derème (venu, on ne sait comment, dans la conversation), Raymond Queneau déclara :

        – Rien ne s’appelle rien : c’est là où nous voulons en venir.

        Ce qui, comme on le voit, pose des bases déjà sérieuses pour une définition de la Littérature Potentielle.

        Ross Chambers lut enfin le résultat d’un thème français proposé à 2750 candidats australiens au Baccalauréat  . Le texte de ce thème, avec variations, est déposé aux archives de l’OuLiPo et sera publié le moment venu.

        A son ordinaire, c’est quand les assistants furent préoccupés par les difficultés de l’addition que Jean Lescure posa la question la plus délicate : celle de l’admission de nouveaux membres. Il proposait, à l’appui de la question d’ordre général, la candidature de MM. Georges-Emmanuel Clancier et Guy Le Clec’h.

        Raymond Queneau s’éleva contre le principe même, déclarant qu’au-dessus d’une dizaine de membres, aucun travail n’est plus profitable. Albert-Marie Schmidt vint appuyer cette opinion (bien qu’il fût favorable à l’admission de M. Le Clec’h).

        Noël Arnaud et François Le Lionnais firent cependant accepter la possibilité d’inviter, pour une ou plusieurs réunions, des personnes étrangères à l’OuLiPo.

        Parallèlement, on adopta l’élection de correspondants étrangers, dont les trois premiers sont évidemment : Ross Chambers (Australie), André Blavier (Belgique) et Stanley Chapman (Grande-Bretagne).

        Ces correspondants étrangers auront le privilège de recevoir toutes les circulaires émanant de l’OuLiPo. Ils seront invités d’office à nos réunions chaque fois qu’ils seront de passage à Paris.

        (En exécution de cette décision, la présente circulaire leur sera adressée).

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            Le Secrétaire Provisoire fit alors élire, à l’unanimité, le sieur Q.B. comme Secrétaire Définitivement Définitif. Le S.D.D. est, d’ores et déjà, entré en fonction avec la présente circulaire qu’il a taci-totalement rédigée.

            Notre prochaine réunion aura lieu le LUNDI 13 MARS.

            Le Président de Séance sera Albert-Marie Schmidt ou, en cas d’impossibilité majeure, Raymond Queneau.

            Le Secrétaire Définiti-nitif,

            Q.B.

            P.S. A la demande du S.P., je me permets d’insister auprès de chacun de vous pour que vous apportiez aux réunions le texte de vos travaux (accompagné d’un bref exposé de la méthode utilisée), ou un résumé de vos communications. Ceci afin de permettre la publication postérieure de ces travaux-et-communications.

            Q.B.

            Texte

            OUVROIR
            DE LITTERATURE
            POTENTIELLE

            Circulaire n°4

            COMTE-RENDU DE LA REUNION DU LUNDI 13 FEVRIER 1961

            (Saint-Lézin)

            Président de Séance : Noël ARNAUD.

            Assistaient à cette réunion : MM. Queval, Queneau, Le Lionnais, Lescure, Chambers, Duchâteau, Arnaud, Schmidt, Berge, Bens.

            En préliminaire à toute préoccupation, furent choisi le menu et adopté l’ordre du jour. Ceci fait :

            La séance fut brillamment ouverte par une remarquable communication d’Albert-Marie Schmidt sur le Chevalier de Piis. L’orateur relata brièvement certains aspects de la vie de cet auteur. On apprit notamment qu’il fut chansonnier, espion de police (de toutes les polices, ce qui prouve une constance dans l’erreur assez admirable) et mourut du choléra en 1852. Le Chevalier de Piis voulut réagir contre la poésie de son siècle dont il disait : « La lyre d’Apollon est sans timbre ». C’est ainsi qu’il entreprit une Harmonie Imitative, dans laquelle il accordait une valeur affective aux lettres de l’alphabet – c’est-à-dire aux sons de notre langue.

            Albert-Marie Schmidt, après avoir précisé que « Phonétique expressive » serait préférable à « Harmonie Imitative », lut quelques passages concernant le C (notion de creux), le F (son fatal qui souffle la menace), le L (liquide et harmonieux), le T (tactile) ; puis d’autres « imitant » le travail du forgeron, le glouglou des bouteilles, la mandoline et le tympanon, et le cri des oiseaux de basse-cour, du chien et du chat.

            Après que Raymond Queneau eût fait remarquer que les vers du Chevalier de Piis, loin d’être le fait d’un pauvre versificateur, valent plutôt mieux que ceux des poètes de son temps, A.M. Schmidt lut d’autres vers concernant la lettre A (sons « adamiques ») et, sur la maladroite intervention du S.P., la lettre B (sons inqualifiables).

            A.M. Schmidt signala un poème de Jean Molinet, écrit sur des mots contenant la syllabe « con ». A la demande générale, ce poème fut inscrit à l’ordre du jour de la prochaine réunion  .

            Jean Queval lut alors (et versa aux archives) des tracts électoraux d’une singulière facture  , réalisés par le sieur Depriester, candidat (battu) de la 4° Circonscription de la Seine-Inférieure (dite « Maritime » depuis peu).

            Il posa également une question sur la recherche des néologismes, question qui laissa pantois tous les assistants. Une communication particulière de Jean Queval sur ce sujet semble indispensable.

            Jean Lescure prit alors la parole pour exposer sa méthode S + 7. Il lut quelques exemples très convaincants, tirés de :

            1. l’Ile du Ptyx, extrait de Faustroll, de Jarry – avec l’aide du Dictionnaire des Synonymes de Larousse ;
            2. la Chasse Spirituelle, du prétendu Imbaud – avec l’aide du Petit Larousse.

            On le félicita chaudement, et le pressa de poursuivre cette chasse fructueuse.

            Jean Queval intervint alors pour demander si l’on est, ouizounon, pour les Fous Littéraires. A cette question délicate, François Le Lionnais répondit fort subtilement :

            – Nous ne sommes pas contre ; mais la vocation littéraire nous intéresse avant tout.

            Ce que précisa Raymond Queneau :

            – Il n’y a de littérature que volontaire.

            A quoi il n’y a rien à répondre.

            A son tour, Jacques Bens lut un « Sonnet sur les vers des autres », imité des quatrains de François Le Lionnais – dont tout le monde apprit, un peu plus tard, qu’il s’agit d’un centon.

            Puis, Raymond Queneau entreprit l’examen des diverses formes poétiques, tirées de la Poétique curieuse, de Gabriel Brunet. En voici le résultat :

            La suite de cet examen fera l’objet de prochaines communications.

            Voici qu’Albert-Marie Schmidt suggéra de retrouver un texte de Toulet proposant de lire les poèmes à l’envers. Si quelque membre découvre ce texte, il est prié de le signaler au S.P.

            A propos de Tristan Derème (venu, on ne sait comment, dans la conversation), Raymond Queneau déclara :

            – Rien ne s’appelle rien : c’est là où nous voulons en venir.

            Ce qui, comme on le voit, pose des bases déjà sérieuses pour une définition de la Littérature Potentielle.

            Ross Chambers lut enfin le résultat d’un thème français proposé à 2750 candidats australiens au Baccalauréat  . Le texte de ce thème, avec variations, est déposé aux archives de l’OuLiPo et sera publié le moment venu.

            A son ordinaire, c’est quand les assistants furent préoccupés par les difficultés de l’addition que Jean Lescure posa la question la plus délicate : celle de l’admission de nouveaux membres. Il proposait, à l’appui de la question d’ordre général, la candidature de MM. Georges-Emmanuel Clancier et Guy Le Clec’h.

            Raymond Queneau s’éleva contre le principe même, déclarant qu’au-dessus d’une dizaine de membres, aucun travail n’est plus profitable. Albert-Marie Schmidt vint appuyer cette opinion (bien qu’il fût favorable à l’admission de M. Le Clec’h).

            Noël Arnaud et François Le Lionnais firent cependant accepter la possibilité d’inviter, pour une ou plusieurs réunions, des personnes étrangères à l’OuLiPo.

            Parallèlement, on adopta l’élection de correspondants étrangers, dont les trois premiers sont évidemment : Ross Chambers (Australie), André Blavier (Belgique) et Stanley Chapman (Grande-Bretagne).

            Ces correspondants étrangers auront le privilège de recevoir toutes les circulaires émanant de l’OuLiPo. Ils seront invités d’office à nos réunions chaque fois qu’ils seront de passage à Paris.

            (En exécution de cette décision, la présente circulaire leur sera adressée).

            Le Secrétaire Provisoire fit alors élire, à l’unanimité, le sieur Q.B. comme Secrétaire Définitivement Définitif. Le S.D.D. est, d’ores et déjà, entré en fonction avec la présente circulaire qu’il a taci-totalement rédigée.

            Notre prochaine réunion aura lieu le LUNDI 13 MARS.

            Le Président de Séance sera Albert-Marie Schmidt ou, en cas d’impossibilité majeure, Raymond Queneau.

            Le Secrétaire Définiti-nitif,

            Q.B.

            P.S. A la demande du S.P., je me permets d’insister auprès de chacun de vous pour que vous apportiez aux réunions le texte de vos travaux (accompagné d’un bref exposé de la méthode utilisée), ou un résumé de vos communications. Ceci afin de permettre la publication postérieure de ces travaux-et-communications.

            Q.B.

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