Circulaire no. 16
OUVOIR DE
LITTERATURE
POTENTIELLE
COMPTE-RENDU DE LA REUNION DU MARDI 19 DECEMBRE 1961
Présents : QUEVAL, QUENEAU, SCHMIDT, LE LIONNAIS, LATIS, LESCURE, DUCHATEAU, ARNAUD, BENS.
Président : Jacques DUCHATEAU
LE LIONNAIS : Je suis amené à demander une condamnation grave, voire la peine de mort, contre un des membres les plus éminents de l’OuLiPo, et d’ailleurs un ami très cher, j’ai nommé Jean Lescure, Jean Lescure dont vous savez qu’il a acquis une certaine réputation dans le monde des lettres en écrivant un roman intitulé Les Chevaliers de la mouche à miel. Ceci dit, j’en arrive à ma plainte. Il y a quelques jours, je me suis trouvé en face d’une personne étrangère à l’OuLiPo qui m’a dit : “Qu’est-ce que c’est que cet OuLiPo ? Quand va-t-on m’inviter à déjeuner à l’OuLiPo ? etc.…” Il s’agit de Jacques de Bourbon-Busset, noble et ex, etc.
QUENEAU (suraigu) : ha-ha-ha-ha… (Son rire se poursuit pendant les répliques suivantes.)
LE LIONNAIS : Je lui ai dit : “Comment connaissez-vous l’existence de cette société, plus secrète et plus dangereuse que l’OAS ?” Il m’a dit : “C’est Jean Lescure qui m’a parlé de cela. ” Il a ajouté : “Quand m’invitez-vous ?”
QUENEAU (continuant) : ha-ha-ha-ha…
TOUS : ha-ha, ha-ha, ha-ha.
LESCURE (inspiré) : Grave problème. Je plaide coupable, mais il faut que je cherche.
BENS (froid) : Vous chercherez tout à l’heure. Faites voter en attendant.
DUCHATEAU : Messieurs, qui est pour la peine de mort ? (Un temps.) Contre ? (Un temps.) La peine de mort est votée par l’unanimité contre deux voix.
LE LIONNAIS : La question de l’invitation reste posée.
LATIS : Il faut répondre que nos déjeuners sont des déjeuners de travail, auxquels n’assistent que des travailleurs.
(Approbations diverses.)
Le S.P. tire de sa serviette une lettre de Latis et la rend à Latis qui en donne lecture. (Texte de la lettre en annexe au présent compte-rendu .)
DUCHATEAU : Qui demande la parole ?
BENS : Je crois que, grâce à cet appareil (geste vers le magnéto), de telles erreurs pourront être évitées à l’avenir. Je crois que ce serait dommage de supprimer les compte-rendus.
QUENEAU : Toute publication de ce genre est, d’ordinaire, soumise à l’approbation des gens qui ont parlé. On leur envoie le texte pour pouvoir décanter le…les conneries qui auraient pu leur échapper, les marécages du langage oral, etc.… Mais ; pour nous, cela compliquerait beaucoup les choses.
ARNAUD : D’autant plus qu’il ne s’agit pas ici de comptes-rendus publiés.
QUENEAU : Bien sûr : c’est purement confidentiel. Du moins, je l’espère. (coup d’œil vers Lescure, qui baisse les yeux vers son assiette.)
LE LIONNAIS : Je pense qu’on pourrait concilier les extrêmes en faisant des C.R. très secs, analytiques, portant sur l’essentiel de ce qui a été dit et qu’il ne faudrait pas laisser perdre.
QUENEAU : Un avantage des C.R. très secs, c’est que B.B. n’aurait plus envie de venir.
SCHMIDT : Moi, je continue à défendre les C.R. sous leur ancienne forme, parce qu’il semble que Bens tire la potentialité de nos propos et que c’est déjà, sinon quelque chose de réel et de fidèle, du moins une sorte d’œuvre collective dont il est le traducteur.
QUENEAU : Je suis tout à fait de cet avis.
DUCHATEAU : Messieurs, je mets l’existence future des C.R. aux voix. Pour ? Contre ? Merci. Pour : unanimité. Contre : une voix.
Bens donne lecture d’un Projet d’éléments de Statuts .
DUCHATEAU : Ces éléments de statuts seront joints au C.R. de la présente séance. Nous en discuterons au cours du prochain déjeuner.
On parle de la bande du Dossier OuLiPo. Sans résultat.
On parle du service de presse du même Dossier.
On reparle de la bande. Après une longue délibération, on adopte, sur proposition de Le Lionnais, améliorée par R.Q., A.M.S., J.Q. et J.L. : PATALEGOMENES A DES POETIQUES FUTURES QUI VOUDRONT BIEN SE PRESENTER COMME TELLES
Bens : Je crois que nous devrions, cette année, étudier plus particulièrement les questions théoriques :
LE LIONNAIS : A mon avis, le mot potentiel ne caractérise pas des œuvres, mais des procédés. Est de la LiPo, l’invention du sonnet. Un sonnet, c’est une œuvre, mais son invention, c’est de la LiPo. A côté du cas des œuvres-limites qui épuisent tout leur contenu, il y a des procédés illimités. Ce sont ceux-là qui nous intéressent. Les cas limites sont intéressants, soit pour nous distraire, soit
pour nous faire sentir les directions possibles de la LiPo. Je propose que, dans un prochain déjeuner, lorsque nous aurons réglé les problèmes du Dossier et des Statuts, nous tâchions de définir un peu mieux les avenues que nous pourrons prendre.
ARNAUD : Je pense qu’il faudrait retenir, des propositions précédentes, l’idée des groupes de travail. Il peut y avoir, par exemple, un groupe “pratique” qui mettra en œuvre les procédés définis par le groupe “théorique”.
BENS : Je voudrais répondre à Le Lionnais. Je me suis demandé : “Comment peut-on écrire un livre, par exemple, qui ait un certain caractère potentiel ? Donc : quels sont ceux qui possèdent ce caractère et ceux qui ne le possèdent pas ?” C’est une question qui me paraît importante et que l’on ne peut pas résoudre uniquement avec des raisons de mots. Il n’est pas suffisant de dire : “On va décider que potentiel s’appliquera à une méthode, et non pas à une œuvre.” Bon. Alors, il faudra trouver un autre mot pour l’œuvre, mais la question reste posée quand même.
LATIS : Il me semble qu’une œuvre peut nous satisfaire, au point de vue de la potentialité, si, comme dans les CENT MILLE MILLIARDS DE POEMES, l’auteur y inclut volontairement, sciemment, techniquement, une potentialité. C’est bien là la littérature potentielle qui nous intéresse et que nous avons à promouvoir. Comment écrire de pareilles choses, voilà un problème qui, me semble-t-il, est au premier rang des préoccupations de l’OuLiPo.
LE LIONNAIS : Il y a deux sens au mot potentialité. Il y a la potentialité qui permet d’écrire (par des méthodes potentielles) des millions de livres tout différents dans une forme nouvelle, par exemple la forme combinatoire qui est celle des CENT MILLE MILLIARDS DE POEMES. Et puis il y a la potentialité interne à l’œuvre, celle qui donne 26 possibilités avec les poèmes d’une lettre, ou cent mille milliards avec les sonnets de Queneau.
QUEVAL : C’est simplement une réflexion sur ce qu’on a dit jusqu’ici, que j’ai divisée en 10 points, et qui aboutit à une proposition très limitée. Cette note pourrait s’appeler : NOTE – OU – SUR LA POSSIBILITE ET L’IMPOSSIBILITE D’UNE REDUCTION DE LA REDONDANCE ABSOLUE ET RELATIVE.
(Au cours de sa lecture, Queval a parfois omis d’annoncer les numéros des points. J’indique seulement ceux qu’il a fait apparaître. Les numéros intermédiaires se dégageront, sans doute, d’eux-mêmes. N.D.S.P.)
(Le sonnet se trouve en annexe. N.D.S.P.)
Il est tard. Certains, pris par des obligations professionnelles, se sont déjà discrètement éclipsés. Après un vote laborieux sur le libellé définitif de la bande du Dossier, la séance se termine dans la confusion verbale la plus grande.
Pour copie super-conforme
J.B.
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