OUVROIR DE LITTERATURE POTENTIELLE
Circulaire n°25
Réunion du mardi 11 septembre 1962
PRESENTS : Arnaud, Bens, Duchateau, Le Lionnais, Lescure, Queneau
EXCUSES : Les autres.
PRESIDENT : Lescure
La direction du « Vieux Paris » nous ayant installé à la terrasse, ce qui doit nuire à nos débats, le S.P. s’enfle d’une juste colère. Sur son instigation, il est décidé que, fuyant désormais les traiteurs inhospitaliers, nous déjeunerons les uns chez les autres.
R QUENEAU : nous ferons la tournée des bobodes.
F. LE LIONNAIS : Je soumets à votre approbation la liste, réduite à deux noms, d’un certain nombre de personnalités que nous pourrions inviter à l’un de nos prochains déjeuners. Il s’agit de G.E. Clancier et de Jean Ferry.
Cette liste est adoptée avec enthousiasme. On remarque que l’invitation de Clancier, quoique jamais suivie d’effet, n’a jamais, non plus, été contestée.
Le Lionnais signale encore qu’il n’a pas de nouvelles de M. Florkin. Il communique à l’assemblée la copie d’une lettre de Blavier à Florkin. Cette lettre, approuvée, est versée aux archives.
X… : Il doit le p’tit Florkin-kin.
Arnaud communique une OuLiPo-Java composée en notre honneur par François Dufrêne. Cette composition est versée aux archives. On en trouvera le texte en Annexe de la présente.
Il est question des Rhinogrades. F. Le Lionnais, avec la plus parfaite mauvaise foi, se déclare « confondu par l’ignorance biologique du dataire ». Il insiste, non sans vulgarité, pour que cette confusion (on ne saurait mieux dire) soit inscrite au procès-verbal.
Duchateau fait un exposé très remarqué sur le roman combinatoire. On trouvera, en Annexe , l’essentiel de sa communication. La discussion s’ouvre.
J. BENS : A mon sens, la difficulté réside en ceci (que démontre suf-
fisamment la tentative de Saporta) : sans lien de cause à effet, il n’y a pas de romanesque possible.
F. LE LIONNAIS : Bens est étroitement conditionné par la culture classique. Ces structures sont-elles inévitables ? (Sinon, il faut évidemment faire autre chose que Saporta, qui a seulement démontré qu’une solution de négligence n’est pas possible.) On pourrait, par exemple, admettre qu’il existe un ordre différent de l’ordre temporel. Peut-être pas n’importe lequel, d’ailleurs. Mais je ne sais pas lequel. Si nous prenons 100.000 milliards de poèmes, nous constatons que chaque poème est bon. Dans le livre de Saporta, toutes les combinaisons ne sont pas bonnes. Peut-on proposer quelques bonnes solutions et écarter les mauvaises ?
J. LESCURE : On limiterait le choix de l’auteur ?
R. QUENEAU : L’auteur a toujours un choix, dans n’importe quelle littérature.
F. LE LIONNAIS : Son choix sera limité à l’intérieur d’un certain système.
J. BENS : Il n’y a pas de comparaison possible.
(On notera l’exemplaire obscurité de chacune de ces répliques. Obscurité qui n’est que la rançon de leur elliptique profondeur.)
R. QUENEAU : Historiquement…
Voix : Ah !
R. QUENEAU :… Historiquement, il existe deux ouvrages forts intéressants de Georges Polti : Les 36 situations dramatiques et l’Art d’inventer les personnages. Le premier contient une thèse : le nombre total des situations dramatiques est limité à 36. Toutes les situations « nouvelles » que l’on peut inventer se ramènent à une des précédentes. Dans le second ouvrage, Polti propose des combinaisons (de caractères, de situations, etc.) permettant de définir 7.000 (ou 70.000 ?) types. Un autre auteur a proposé une autre combinatoire : c’est Léon Bopp. Sa méthode était également limitative, mais d’une manière beaucoup plus naïve. D’ailleurs, les romans que l’on a écrits après lui n’entrent pas dans les cadres qu’il avait prévus…
F. LE LIONNAIS : Souriau a également étudié la question, dans un ouvrage publié par la « Bibliothèque de Philosophie Scientifique » de Flammarion.
J. BENS : Dans le roman policier, on connaît les célèbres règles de Van Dine. Mais il ne s’agit alors que de règles interdisant certaines facilités. Cela n’a rien à voir avec la combinatoire.
F. LE LIONNAIS : Je vous proposerai, lors d’une prochaine réunion, une nouvelle solution pour les problèmes de local clos. Je rumine également, d’ailleurs, un cas où l’assassin est le lecteur.
F. LE LIONNAIS : Je voudrais faire, à propos du lettrisme et de l’OuLiPo, deux communications indépendantes mais liées :
On ajoute donc François Dufrêne à la liste précédente des personnalités à inviter prochainement.
On ne manque pas, naturellement, d’échanger des vœux de Bonne Année Pataphysique.
On remarque qu’une nouvelle Ere, l’Ere Oulipienne, pourrait être créée. Le premier jour de l’année en serait le 24 novembre, anniversaire de la fondation de l’OuLiPo. (On néglige dans ce calcul, mais sans les oublier, les entretiens préalables à la fondation solennelle.)
Raymond Queneau et François Le Lionnais échangent alors les fruits mathématiques de leurs veilles. L’impuissance du S.P. à suivre cette estimable discussion l’empêche d’en faire part ici. Non sans regret.
Une femme peintre, installée à deux pas de nous, sous couleur de fixer les traits austères de Saint-Etienne-du-Mont, nous tire le portrait. Ainsi, la dernière réunion publique de l’OuLiPo s’inscrira dans une oléagineuse, et peut-être (qui sait ?) drouotique, postérité.
La prochaine réunion …
R. QUENEAU : On va faire la tournée des OuLiPopotes !
… la prochaine réunion, donc, se tiendra le vendredi 26 octobre chez Jacques Duchateau.
(On sait que, par la suite de modifications ultérieures, cette réunion s’est tenue, le 31 octobre, chez Claude Berge.)
Le S.P.
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